Pour cette nouvelle Série Noire, Patrick Pécherot revient à ce qui l’a fait connaître : le polar historique. Tranchecaille (terme d’argot utilisé par les poilus) nous plonge au coeur du mois de juin 1917 sur le Chemin des Dames. La guerre n’en finit pas de finir, les combattants sont lessivés, le pays exsangue. Les soldats des deux camps commencent à fraterniser le long des tranchées tandis que les gradés craignent des soulèvements et des mutineries. Pécherot nous présente l’histoire du soldat Jonas : arrivé quelques mois plus tôt sur le front, Jonas est un jeune de la campagne, un fort en gueule qui traîne un peu les pieds mais sur qui on peut compter. Jonas est accusé par le tribunal militaire d’avoir profité d’une attaque ennemie pour tuer son lieutenant avec qui il aurait eu des différends quelques semaines plus tôt. Nous apprenons dès les premières pages que Jonas vient d’être exécuté par un peloton militaire, le livre jette la lumière sur la culpabilité réelle ou non, du condamné. Pour décrire cette affaire judiciaire, Pécherot a choisi d’adopter une structure narrative chorale : chacun des courts chapitres nous place dans l’esprit d’un des protagonistes de cette histoire. Nous découvrons le point de vue de l’accusation, de la défense, les témoignages des proches sur la ligne de front et ceux de la hiérarchie militaire. En arrière-plan, des chapitres traversent le cours de l’histoire pour nous décrire le quotidien des soldats stationnés au Chemin des Dames. Cette dimension kaléidoscopique du récit permet à l’auteur de nous présenter la réalité de la guerre sans pour autant s’appesantir (le thème de la guerre de 14-18 ayant été déjà largement traité. Car Tranchecaille est surtout un roman qui place en avant les émotions. Nous touchons du doigt cette lassitude de la fin de la guerre. Habilement, l’auteur nous fait passer de la ligne de front à l’arrière où le même sentiment de fatigue règne. Progressivement, par touches, un tableau d’ensemble se dessine devant nos yeux, celui d’un pays brisé, au bord de la rupture. L’intrigue est menée intelligemment. Le coeur de ce roman nous fait découvrir une réalité historique parfois oubliée, celle des « marraines de guerre », ces femmes seules qui écrivaient aux braves poilus et qui parfois les recevaient chez elles pour le meilleur, et souvent pour le pire… Avec Tranchecaille, Pécherot revient à sa veine historique, là où il est le meilleur. Un livre truffé de références, de petits détails, de descriptions, qui offre une touche réaliste et vivante du récit.