-L’Humanité

Roger Martin

 Les sentiers de la honte

Avec les Brouillards de la Butte, Patrick Pécherot avait prouvé qu’il fallait compter avec lui. Son dernier roman, qui puise son inspiration dans la Première Guerre mondiale, est assurément une oeuvre de grande qualité... Le chemin des Dames, en 1917. Un conseil de guerre s’apprête à juger le soldat Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant. Le capitaine Duparc, chargé de le défendre, bourrelé de doutes et hanté par le spectre de l’erreur judiciaire, n’a pas plus de quelques jours pour trouver la vérité. La parole va être donnée aux témoins, ceux qui ont vu, entendu, et ceux qui n’ont pas besoin de cela pour avoir leur idée arrêtée, sans que le lecteur puisse se faire une conviction tranchée tant la personnalité de Jonas, alias Tranchecaille, apparaît comme mouvante et propre à semer le doute. Il semble bien que l’on s’achemine vers une erreur judiciaire, mais, l’ombre des mutineries aidant, et la valeur de l’exemple n’étant plus à prouver dans une période où certains soldats n’hésitent pas à reprendre des couplets séditieux de l’Internationale (« Ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux »), les conclusions du conseil de guerre se traduiront par une condamnation à mort. Une issue tragique qui sera aussi celle du capitaine défenseur de Jonas, fauché dans la « zone du front », le lendemain de l’exécution de son client. Au-delà de l’intrigue, soigneusement bâtie, le roman de Pécherot vaut par l’excellence de son écriture, par une maîtrise peu commune des retours en arrière et de l’exposition des points de vue des divers protagonistes. Inévitablement, on pense aux Sentiers de la gloire, à Pour l’exemple, au Pantalon, au travail d’un Daeninckx ou d’un Tardi. C’est dire si ce Tranchecaille mérite toute notre attention.

© Roger Martin, L’Humanité